Qui de la pandémie ou des politiques publiques d’attractivité a le plus grand impact de long terme sur la mobilité étudiante ? La question se pose à la lecture des données rassemblées dans cette édition des Chiffres clés. D’un côté, en regardant dans le rétroviseur que constitue chaque année le recensement UNESCO, on peut embrasser, pour la première fois, la totalité de l’impact de la COVID sur la mobilité internationale. Il fut à la fois radical, contrasté, et réversible. De l’autre, en considérant les données plus récentes et les tendances qu’elles annoncent, cet épisode exceptionnel semble déjà dépassé et remplacé par une ère plus incertaine, celle d’un monde tenté par le repli sur soi.
Mondiale, la pandémie a stoppé la croissance de la mobilité étudiante en général : les données UNESCO montrent une année 2021 en stagnation (+0,2%). Les États-Unis et l’Australie voient leurs nombres d’étudiants en mobilité diplômante baisser pour la 2e année consécutive : du jamais vu ! Le principal moteur de la croissance mondiale des flux étudiants, situé en Asie, s’est enrayé. Ailleurs, les chiffres de l’UNESCO révèlent un impact moins sévère : les mobilités sont restées possibles à l’intérieur de l’Union européenne, et ont même progressé dans certains pays restés ouverts, comme le Royaume-Uni, la Turquie, les Pays-Bas, ou la France. En d’autres termes, le volontarisme s’est révélé un vaccin plutôt efficace contre la panne des mobilités.
Trois ans après – seulement – il faut avouer que l’épisode de la COVID ressemble pourtant à un souvenir du siècle dernier. Du côté des leaders du secteur des mobilités étudiantes, les États-Unis affichent un regain sur un an de 12% en 2022-2023, sans toutefois rattraper le niveau d’avant la pandémie. Au Royaume-Uni, la croissance continue durant la COVID a permis d’atteindre la cible des 600 000 étudiants mobiles avec presque dix ans d’avance. En Europe, la mobilité dans le cadre du programme Erasmus+ a redémarré dès 2022. L’Allemagne continue d’attirer toujours plus d'étudiants et la mobilité sortante asiatique semble avoir repris, même si la mobilité chinoise ne retrouve pas son niveau pré-pandémique.
En France, cette reprise a démarré dès 2021-2022 avec une augmentation marquée, puis plus mesurée en 2022-2023, mais qui permet à notre pays de rester la 6e destination mondiale des étudiants en mobilité. Cette année 2022-2023 se distingue notamment par le retour des étudiants du continent américain et la croissance du nombre d’étudiants originaires d’Europe. A contrario, le nombre d’étudiants originaires d’Asie-Océanie stagne.
« Mettre en évidence les bénéfices de la circulation des étudiants et des savoirs n’a jamais été aussi nécessaire. »
Pourtant, un nouveau mouvement semble s’esquisser début 2024, fondé sur une volonté de « pause » ou de régulation décidée par les pays eux-mêmes. Le Canada, quatrième pays de destination dans le monde, vient d’abaisser de 35% le plafond des délivrances de visas pour études. L’Australie annonce également vouloir modérer la croissance du nombre d’étudiants accueillis, tandis qu’aux Pays-Bas, un projet de loi envisage l’introduction d’un numerus fixus pour les programmes de licence enseignés en anglais. Début 2024, le Royaume-Uni a introduit des mesures restreignant la venue des dépendants à la charge des étudiants internationaux en études dans le pays, et veut réguler davantage la transformation des visas d’études en visas de travail. Des signaux d’autant plus saisissants qu’ils concernent des pays qui avaient mis en oeuvre les mesures d’attractivité les plus offensives au sortir de la pandémie. Reste à savoir s’il s’agit là de mesures d’ajustement face aux problématiques de logement étudiant et des failles dans le processus d’admission – arguments fréquemment avancés – ou d’un véritable changement d’ère.
Cette tentation de repli a en tous les cas déjà commencé à modifier sensiblement les choix de destination. Les grands pays d’accueil qui maintiennent leur modèle ouvert pourraient en bénéficier. L’Allemagne a annoncé vouloir doubler la part de diplômés internationaux qui choisissent de rester dans le pays après leur formation, pour faire face à la pénurie de main d’oeuvre qualifiée. C’est aussi en réponse au défi massif du recrutement que la Commission européenne a présenté à l’automne 2023 une série de mesures sur la mobilité des talents et des compétences, afin de rendre l’Union européenne plus attrayante pour les actifs des pays tiers et faciliter la mobilité au sein de l’UE. Elle se fixe ainsi l’objectif de porter à 25%, d’ici à 2030, la part des diplômés de l’enseignement supérieur ayant eu une expérience de mobilité internationale.
Quelle que soit la durée et l’ampleur de ces tendances, le paysage de la mobilité mondiale semble a minima traverser une nouvelle époque. Là où il y a deux ans l’horizon post-pandémie semblait caractérisé par une embellie rapide, ces choix de politiques publiques viennent rappeler les acteurs de la mobilité – à commencer par Campus France et ses homologues – à l’importance de leur mission de plaidoyer : mettre en évidence la plus-value et les bénéfices de la circulation des étudiants et des savoirs n’a jamais été aussi nécessaire.
Campus France — chiffres clés 2024